Le premier roman de Gaël Faye s'est vu décerner tous les hommages : largement nominé dans les sélections de prix de la rentrée et lauréat du prix du Premier Roman 2016, il a fait une entrée remarquée sur la scène littéraire française.
Lumière sur un roman inattendu.
Le synopsis
Au début des années 1990, Gabriel vit au Burundi avec son père français, sa mère rwandaise et sa petite sœur Ana. Sa vie se transforme lorsque ses parents se séparent, puis lorsque la guerre civile se profile, et que les tensions émergent peu à peu dans son quartier jusqu'alors relativement préservé, infléchissant le cours de son enfance.
Mon avis
De très jolies choses, dans ce premier roman...
Le narrateur relate certains épisodes de son enfance, on y trouve la naïveté mêlée à une réalité historique et sordide.
J'avais, en toile de fond, le souvenir de la lecture du foudroyant Notre-Dame du Nil, qui m'avait fait beaucoup d'effet. Mais le récit de Gaël Faye est autre : s'il nous initie dès les premières pages à la distinction entre Hutus et Tutsis, à travers la façon dont Gaby tâche de la comprendre avec ses yeux d'enfant, son récit est ensuite celui des événements de sa vie quotidienne, auprès de ses parents bientôt séparés, de ses amis, y compris de sa correspondante française, et la vision des tensions ethniques est ainsi perçue avant tout par cet enfant auquel le lecteur s'attache.
Le roman m'a fait penser, dans la façon dont l'anecdotique est raconté, au style d'Alain Mabanckou, avec néanmoins un regard porté sur le monde davantage empreint de mélancolie.
Il y a de la poésie dans l'écriture de Gaël Faye, à l'instar de cette citation que j'ai rapportée ci-dessous, et qui m'avait déjà marquée lors de l'émission de la Grande Librairie à laquelle avait participé l'auteur, et dont François Busnel avait fait la lecture : Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là.
*Le talent*...
Bien entendu, au-delà de l'enfance de Gaby, l'horreur du conflit rwandais est abordé à travers sa mère, rwandaise elle-même, qui décide de se rendre dans son pays pour retrouver ses proches, et sombre dans la folie.
Petit pays mêle de nombreux thèmes à la façon d'une autofiction, sait dire les inconséquences de l'enfance et ses drames, dans un contexte où l'Histoire vient bouleverser tous repères. Une lecture qui touche!
Pour vous si...
- Vous êtes amateur d'excellents premiers romans
- Vous appréciez que la littérature se penche sur des fragments d'histoire, sans perdre pour autant le prisme de l'individualité qui y prend part
Morceaux choisis
"Bientôt ce serait la fin de mon anniversaire, je profitais de cette minute avant la pluie, de ce moment de bonheur suspendu où la musique accouplait nos cœurs, comblait le vide entre nous, célébrait l'existence, l'instant, l'éternité de mes onze ans, ici, sous le ficus cathédrale de mon enfance, et je savais alors au plus profond de moi que la vie finirait par s'arranger."
"C'est en découvrant, quelques minutes plus tard, l'épaisse fissure qui lézardait le mur du garage dans toute sa longueur, que l'on a compris. La terre avait bougé sous nos pieds, imperceptiblement. C'est ce qu'elle faisait tous les jours dans ce pays, dans ce coin du monde. On vivait sur l'axe du grand rift, à l'endroit même où l'Afrique se fracture.
Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. Sous le calme apparent, derrière la façade des sourires et des grands discours d'optimisme, des forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violence et de destruction qui revenaient par périodes successives comme des vents mauvais : 1965, 1972, 1988. Un spectre lugubre s'invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n'est qu'un court intervalle entre deux guerres."
"Elles retournaient dans leur pays après trente ans d'exil. Elles en avaient rêvé de ce retour, surtout la vieille Rosalie. Elle qui voulait finir ses jours sur la terre de ses ancêtres. Mais le Rwanda du lait et du miel avait disparu. C'était désormais un charnier à ciel ouvert."
"Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là. Des milliers de kilomètres me séparent de ma vie d'autrefois. Ce n'est pas la distance terrestre qui rend le voyage long, mais le temps qui s'est écoulé. "
Note finale
3/5
(cool)
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