jeudi 12 janvier 2017

La Cerisaie, Tchekhov

A l'occasion de cette année qui commence, en ce qui me concerne, dramatiquement, vous reprendriez bien un peu de théâtre, n'est-ce pas?


Libres pensées...

Attention, nouvelle année, nouveau format : je vais profiter de cet encart pour vous parler un peu du synopsis, et un peu de mon avis.

Le topo est le suivant : une famille issue de la noblesse russe mais désargentée se réunit dans la demeure familiale, La Cerisaie, alors qu'il est question de la vendre.
L'acte se déroule au début du XXe siècle, donc avant la révolution russe, quelques années après l'abolition de la loi sur le servage, détail qui a son importance, puisque l'un des protagonistes, Lopakhine, dont les aïeux ont servi les propriétaires en tant que serfs, s'est affranchi de cette condition, et, ayant fait des affaires fructueuses, va être en position de racheter la propriété.

De nombreuses lectures peuvent être faites de la pièce qui, au demeurant, désarçonne par sa simplicité. Les échanges paraissent anodins, décrivent la situation par le prisme de chaque individualité, et si l'on peut deviner une satire sociale, les arguments ne sont pas empreints, à mon sens, de quelques jugements que ce soit. La violence vécue est sensible derrière les apparences, car il est bien question d'une fin et d'un début, et toute la pièce converge vers ce moment, ce kairos qui s'apparente à un suspens, une parenthèse où tous les anciens repères s'effondrent, si bien que les codes qui régissaient auparavant les interactions font défaut.

La détresse perce dans les échanges entre les protagonistes, qui s'efforcent de sauver les apparences, et, à l'exception de Lopakhine bien sûr, se détournent ostensiblement de l'échéance qui se rapproche, de la réalité qui les frappe, à savoir, la perte imminente de la Cerisaie, avec ce qu'elle incarne d'histoire, de statut social et d'identité, tant collective à travers le groupe familial, qu'individuelle.

On peut lire la Cerisaie et avoir le sentiment de s'être laissé porter par une pièce où il ne se passait pas grand chose, où l'on assistait vaguement à des discussions mondaines parfois entrecoupées de considérations économiques rapidement éloignées.
A mon sens, la pièce abrite une intensité dramatique rare, étouffée, contenue, que l'on pressent et qui oppresse, et renvoie à certaines de ses propres peurs.

On se demande forcément, en lisant ce texte, si l'on serait capable à notre tour de capturer les signaux annonciateurs de la fin d'un monde, du début de quelque chose d'autre, encore intangible et indéfini, et pourtant indiscutablement réel.
A ce sujet, je réfléchis encore.


Pour vous si...
  • Vous vous régalez de toutes sortes de revanches sociales (petit coquin)
  • Vous n'êtes pas rancunier auprès des auteurs qui multiplient les personnages au point de vous perdre dans un parfait embrouillamini de Daria, Antonina, Mikhaïl et Ivan...

Morceaux choisis

"EPIKHODOV. Quel plaisir de jouer de la mandoline.
DOUNIACHA. C'est une guitare, pas une mandoline.
EPIKHODOV. Pour un amoureux fou, c'est une mandoline."

"TROFIMOV. Songez-y, Ania : votre grand-père, votre arrière-grand-père et tous vos ancêtres avaient des serfs, ils disposaient des âmes vivantes. N'entendez-vous donc pas derrière chaque cerisier, derrière chaque feuille, derrière chaque tronc des êtres vivants qui vous regardent, n'entendez-vous vraiment pas leur voix... Disposer d'âmes vivantes, cela vous a tous dénaturés, vous tous qui viviez ici autrefois et qui qui vivez ici maintenant, de sorte que votre mère, vous-même, votre oncle, vous ne vous rendez pas compte que vous vivez à crédit, de l'argent des autres, aux dépens de ceux à qui vous ne permettez pas de franchir plus que le seuil de votre vestibule... Nous avons un retard d'au moins deux cents ans, nous n'avons encore absolument rien, nous sommes incapables de nous situer par rapport à notre passé, nous ne savons que philosopher, nous nous plaignons de l'ennui ou nous buvons de la vodka. Il est pourtant clair que pour commencer une vie au présent, nous devrons d'abord expier notre passé, en finir avec lui, et nous ne pouvons l'expier que par la souffrance, par un travail extraordinaire, ininterrompu."

"ANIA. Maman! ... Maman, tu pleures? Ma chère, ma bonne, ma gentille Maman, ma merveilleuse Maman, je t'aime... je te bénis. La Cerisaie est vendue, c'est fini, c'est vrai, c'est vrai, mais ne pleure pas Maman, il te reste ta vie, il te reste ton âme bonne et pure... Viens avec moi, partons d'ici, partons!... Nous planterons un nouveau jardin, plus beau que celui-ci, tu le verras, tu le comprendras, et la joie, une joie calme et profonde descendra dans ton âme, comme le soleil du soir, et tu souriras, Maman!"


Note finale
3/5
(cool)

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