mardi 10 octobre 2017

Rebecca, Daphné du Maurier

Le classique du mois est signé Daphné du Maurier, une romancière britannique du XXe siècle, ayant connu de son vivant un succès retentissant, en particulier pour Rebecca, dont je vous parle aujourd'hui, paru en 1938, et adapté dès 1940 dans un film réalisé par Hitchcock. 
Précision que j'ignorais : Daphné du Maurier est également l'auteur d'une nouvelle intitulée Les oiseaux, qui a inspiré le très célèbre film du même Hitchcock. L'univers de l'auteur, flirtant parfois avec le fantastique, était particulièrement compatible avec celui, angoissant, du maître du cinéma. 


Libres pensées... 
(spoiler alert)

La narratrice, une jeune fille sans famille et sans biens, est demoiselle de compagnie auprès d'une vieille dame fortunée à Monte Carlo lorsqu'elle fait la rencontre de Maxim de Winter, un riche veuf que l'on dit inconsolable depuis la mort de sa femme, Rebecca, un an plus tôt. Elle est d'abord intriguée, puis séduite, par cet homme plus âgé à l'abord ténébreux, qui ne tarde pas à lui demander sa main. Après une lune de miel en Méditerranée, ils rentrent dans le célèbre domaine de Maxim de Winter en Angleterre, Manderley. La narratrice y fait la connaissance des domestiques surpris de son arrivée, de Béatrice et Giles, respectivement soeur et beau-frère de Maxim, de Frank Crawley, son proche ami, et d'autres membres de la haute société anglaise. L'ombre de Rebecca grandit peu à peu, à mesure que le monde dans lequel elle entre et avec lequel elle n'est pas familière la compare durement à l'ancienne épouse de son mari, qui est toujours décrite comme exceptionnellement belle, intelligente, accomplie en tous domaines, courageuse et audacieuse comme un homme.

La lecture de Rebecca m'a déroutée, parce qu'il m'est apparu, à la réflexion, que plusieurs interprétations pouvaient en être faites.

Peu après avoir refermé le roman, j'ai regardé le film de Hitchcock, qui offre des pistes intéressantes, en ce qu'il sélectionne certains éléments du livre, accentue, ou au contraire passe sous silence d'autres détails.

La lecture que fait Hitchcock de Rebecca se prête particulièrement à son art, grâce à l'angoissante présence d'une absente, une morte, qui plane au-dessus d'une protagoniste fragile qui néanmoins suscite l'empathie. Dans cette version, Maxim est hanté par le passé, et par l'accident qui a coûté la vie à Rebecca, accident dans lequel il était impliqué. Par ailleurs, la scène finale est également modifiée, afin d'accroître le sentiment de peur chez le lecteur, et la narratrice n'accompagne pas Maxim rencontrer le docteur de Rebecca, elle demeure à Manderley, en proie à la folie grandissante de Mrs Danvers. D'ailleurs, les critiques du film, qui affluent sur le net, soulignent l'idée qu'une relation saphique ait existé entre Rebecca et Mrs Danvers (appuyée en cela par la bisexualité notoire de l'auteur), expliquant le comportement erratique de cette dernière, le souvenir qu'elle entretient de cette Rebecca, et le deuil qu'elle semble encore porter.

C'est une version intéressante, efficace, grand public, qui repose sur des rebondissements bien ménagés et une atmosphère avant tout, l'atmosphère de Manderley, cette grande propriété où l'on craint de croiser, à tout instant, le fantôme de Rebecca. Rebecca y est une femme vicieuse, séductrice et manipulatrice, dangereuse, le versant diabolique de la narratrice qui est, elle, enfantine, honnête et franche, altruiste, mal assurée.

Il y a néanmoins, à mon sens, une autre compréhension possible du chef d'oeuvre de Daphné du Maurier. Car si Rebecca est certes décrite comme une femme exceptionnellement belle et séduisante, les traits qui sont d'abord mis en avant sont son courage, son audace, elle est téméraire comme un garçon, n'a pas froid aux yeux, et elle est libérée, s'affranchit du joug du mariage pour aimer qui elle veut, au nez et à la barbe d'un époux conservateur et morose.
La ligne narrative adoptée, qui se centre sur le point de vue d'une protagoniste initialement extérieure, est infléchie par les sentiments que cette dernière nourrit pour son époux, qui l'orientent dans son appréhension de la situation, et la rendent disposée à croire en l'innocence de Maxim, à croire qu'il a été abusée par une femme perverse. Alors, Rebecca prend une autre dimension, car le récit devient un conte immoral, reflétant une société où l'homme riche qui peut compter sur l'indulgence de ses pairs (le policier chargé de mener l'enquête) triomphe de la femme qui a cru avoir les mêmes droits que lui (il va sans dire que les moeurs de Rebecca ressemblent fort à celles des bonshommes de la haute société à l'époque). Certains points me font douter de la pertinence de cette théorie, comme par exemple le fait que Rebecca ait eu une relation avec son cousin - on peut supposer que l'auteur veut ici noircir le personnage, dans la mesure où une dimension presque incestueuse n'est pas, dans les sociétés occidentales, synonyme de liberté, et constitue un interdit à ne pas franchir.
Néanmoins, c'est cette version qui est, à mes yeux, la plus intéressante, et ce que je souhaite voir dans le roman.

Parmi les atouts indéniables du livre, il y a l'écriture fluide, la progression maîtrisée, l'atmosphère singulière qui règne, qui engagent le lecteur à poursuivre sa lecture et font monter la tension ressentie.

Quoi que vous y verrez, je pense pouvoir affirmer que Rebecca ne laisse pas indifférent, et j'imagine sans mal qu'il constitue un ouvrage de référence dans la littérature du XXe siècle. 

Pour vous si...
  • Vous voulez vous faire votre propre idée sur le roman
  • Vous êtes acquis aux récits de faux-semblants

Morceaux choisis

"C'était Manderley, notre Manderley secret et silencieux comme toujours avec ses pierres grises luisant au clair de lune de mon rêve, les petits carreaux des fenêtres reflétant les pelouses vertes et la terrasse. Le temps n'avait pas pu détruire la parfaite symétrie de cette architecture, ni sa situation qui était celle d'un bijou au creux d'une paume."

"Un mari n'est pas si différent d'un père, après tout. Il y a certaines espèces de connaissance que je préfère ne pas te voir acquérir. Il vaut mieux les enfermer à clef. Et voilà. Maintenant, mange tes pêches et ne me pose plus de questions, ou je te mets dans le coin."

"Je suis suffoquée par tant de bêtise, dit-elle. Giles et moi pensons que si ces trous n'ont pas été faits par les rochers, alors ils soont l'oeuvre d'un vagabond, ou autre. Un communiste peut-être. Il y en a des tas par ici. C'est assez dans la manière communiste."

Note finale
5/5
(coup de coeur)

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