mardi 7 novembre 2017

Ces rêves qu'on piétine, Sébastien Spitzer

Premier roman largement plébiscité par le cercle des 68 premières fois, Ces rêves qu'on piétine est un roman que j'avais grand hâte de découvrir... L'auteur, Sébastien Spitzer, est journaliste. 


Libres pensées...

Sébastien Spitzer romance l'histoire de Madga Goebbels, la femme puissante du IIIe Reich, capable d'influencer jusqu'à Hitler, incarnant l'idéal de la femme aryenne, ivre de pouvoir, et fille naturelle d'un homme juif, Richard Friedländer, persécuté et déporté. Dans son récit, Spitzer imagine la correspondance rédigée par Friedländer à sa fille, transmise de main en main, à la faveur d'une fuite et d'une autre encore, jusqu'à parvenir entre les mains d'une photographe américaine lors de la Libération. En parallèle, l'ascension et le règne de Madga sont racontés, ainsi que sa fin, lui donnant la figure d'une Médée des temps modernes.

Ces rêves qu'on piétine m'a tout d'abord marquée par sa densité : on suit trois intrigues en parallèle, la première centrée sur Magda, la deuxième constituée par les lettres de Friedländer, et la troisième suivant les personnages qui récupèrent cette correspondance et la transportent, Judah tout d'abord, puis Ava, et enfin la photographe. Mais cette correspondance porte aussi la trace d'autres porteurs, des bouts de leur propre histoire.

Cela m'a conduit à suspecter que l'auteur avait voulu "trop bien faire", et avait pour cela construit une trame très consistante, possiblement étouffante pour certains lecteurs. De fait, j'ai ressenti à plusieurs reprises l'impression qu'il avait voulu traiter trop de sujets dans le magma de la période choisie, et que cela desservait la clarté de son propos.
Néanmoins, en réfléchissant à ce sujet, il m'est apparu que les personnages créés (notamment les personnages en fuite, comme Judah ou Ava) avaient un véritable rôle romanesque, dans la mesure où leur existence dans la fiction était nécessaire pour justifier du fait que la correspondance de Friedländer ne soit pas perdue. Si le personnage d'Ava m'a fait penser, de par la thématique sous-tendue, aux accouchements dans les camps et donc au roman de Valentine Goby, Kinderzimmer, Spitzer prend ses distances par rapport à ce sujet, et se contente de l'effleurer au passage, ce qui est suffisant. Par ailleurs, cette part de l'intrigue consacrée à certains sévices vécus par les Juifs vient enrichir le témoignage de Friedländer, et constitue une charge supplémentaire contre Magda.

Magda, quant à elle, n'est bien évidemment pas abordée avec bienveillance. Dès le début de l'intrigue, elle apparaît comme une femme opportuniste, calculatrice, ingrate et dangereuse, prête à tout pour accéder au statut qu'elle brigue, à la place qu'elle estime lui revenir, et cette logique transparaît dans le roman comme son seul moteur. Il y a bien l'amour pour son aîné Harald qui rappelle la mère en elle, mais la femme matricide n'est pas vraiment une femme ou un être humain, dans ses actes et ce qu'elle donne à voir. Paradoxalement, ce sont les lettres de son père qui contribuent le plus à lui rendre figure humaine, de par l'attachement qu'elle lui inspire, alors même qu'elle le laisse en proie à un funeste sort.

Pour conclure, ce premier roman est ambitieux, très riche, et très intéressant (le personnage de Magda Goebbels se prête extrêmement bien à l'exercice romanesque mené par Sébastien Spitzer), peut-être un peu trop dispersé à mon goût, mais fort bien maîtrisé. Il est très compréhensible qu'il ait déjà su conquérir un large lectorat. 

Pour vous si...
  • Vous ne tenez pas trop à un happy ending ;
  • La figure de Magda Goebbels ne vous laisse pas indifférent.

Morceaux choisis

"Madga avait bien observé cet homme. Elle l'avait même envisagé. Pas lui. Mais ce qu'il incarnait. Celui qui restait droit quand les autres le buvaient. Celui qui les faisait crier. Sa place à elle était là-haut. Au-dessus. Elle méritait l'estrade, la droite du chef. Elle aimait qu'on la regarde. Bientôt ce serait son tour... Qu'il était laid, sans foule. Mais il y avait la foule."

"La dernière chose que nous possédons, c'est notre histoire. Il y a deux mille ans, nous avons dû quitter notre terre, notre Jérusalem, nos temples, nos rois et nos armées. Nous avons été riches, pauvres, puissants, chassés, recherchés, pourchassés. Nous avons construit des temples en bois, en pierre. Ils ont été brûlés. Nous en avvons construit d'autres. Vous les avez fait fermer. Mais notre histoire, personne ne nous la volera. Elle est inaliénable. On essaiera de nous tuer, jusqu'au dernier. On essaiera de trahir, de falsifier, d'effacer... Mais il y aura toujours un scribe pour recopier, un homme pour lire, un écrit quelque part. Vous êtes l'incarnation de notre pire ennemi : l'oubli. L'effacement par le feu. La mort programmée. Vous êtes la négation de ce qui a été par le verbe et par le ventre. Mais vous ne volerez pas notre histoire."

"Mais qui est cette Magda, cette femme puissante, cette Allemande au bras long ? Les dessinateurs de la presse anglo-saxonne ont croqué sans égard les plus grandes figures de cette clique. Un peintre raté. Un éleveur de poulets en faillite. Un éclopé en mal de reconnaissance. Et une première dame pondeuse. Pleine d'enfants. Femme du nabot boîteux. Est-ce vraiment d'elle qu'il s'agit ?"


Note finale
4/5
(très bon)

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