jeudi 9 novembre 2017

Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant

Gaëlle Nohant est écrivain, elle a déjà quelques romans à son actif, et un essai sur le rugby club toulonnais entre 1908 et 2008 (pas banal). Son dernier roman, Légende d'un dormeur éveillé, a agité la blogosphère qui l'a largement relayé. Il faut dire que le sujet n'est autre que la vie du poète Robert Desnos, ce qui a de quoi donner envie...


Libres pensées...

L'auteur retrace l'histoire de Desnos, en particulier à partir des années 1920 et de son intronisation auprès du mouvement naissant du surréalisme auquel il participe, jusqu'à sa mort en 1945. Avant sa déportation, le récit aborde sa vie parisienne, son rôle aux côtés des surréalistes, sa rupture avec Breton et la stigmatisation dont il est frappé par la suite, ses accomplissements professionnels et littéraires, ses amitiés et ses amours, partagés entre Yvonne et Youki.
A partir de sa déportation au camp de Buchenwald en février 1944, la narration se centre sur Youki, qui attend son retour et ne reçoit que de rares lettres de Robert.
Le texte est parsemé d'extraits de l'oeuvre de Desnos, qui viennent comme ponctuer les différents épisodes de sa vie qui sont relatés.

Le lecteur sera rapidement impressionné par les recherches, la documentation qui ont dû être nécessaires à l'auteur pour nous livrer un tel tableau de l'époque traversée par Desnos. Ce travail approfondi donne corps aux personnages, dont les noms ne sont, pour beaucoup, pas inconnus, et qui s'animent sous la plume de Gaëlle Nohant.

L'idée consistant à intégrer des extraits de poèmes est magistrale : lorsque l'on est lecteur, il est facile de prêter une intention à un auteur dont on ne lirait que le poème, sans en savoir plus sur le contexte dans lequel il a été écrit, ce que l'auteur avait en tête, qui étaient ceux qui ont pu le lui inspirer... Nous sommes prompts à faire preuve d'imagination pour combler les vides, bien souvent sur la base de notre propre expérience, dès lors que le poème a pu avoir une résonnance particulière avec certains bouts de notre vie. Restituer un cadre, un échange, une altercation, un état d'âme, apporte au poème une profondeur nouvelle, qui coupe le lecteur d'une partie de son imagination en imposant un environnement, mais permet d'appréhender plus intimement l'auteur. J'ignore comment l'auteur a procédé en cela, si elle a effectivement travaillé rigoureusement pour lier les poèmes au contexte qui était le leur, quoi qu'il en soit, le résultat donne ce sentiment, et je suis persuadée que cette "innovation" littéraire, qui réclame un travail minutieux, sera très appréciée du lectorat.

En matière d'innovations littéraires, d'ailleurs, il est intéressant de découvrir quels sont, à l'époque, les enjeux posés par le surréalisme, et par l'approche relativement stricte (d'aucuns pourraient dire sectaire) de Breton, qui n'hésite pas à répudier certains de ses "camarades" lorsqu'il estime qu'ils s'éloignent de l'essence du surréalisme, dont il juge être le dépositaire et l'ardent défenseur. Ainsi, il reproche à Desnos comme à d'autres de ne pas s'engager en faveur du communisme, et Desnos, qui semblait tenir à une certaine neutralité, se retrouve dans une situation où politique et littérature sont, de facto, étroitement imbriquées.

Si je devais apporter un bémol à mon appréciation de l'oeuvre, je parlerais de son caractère assez peu égal : la première partie, qui évoque surtout les amours éconduits de Robert, depuis sa passion pour Yvonne à celle pour Youki qui, longtemps, n'aboutit pas, m'a paru longue et parfois répétitive. Pour tout dire, il a fallu 250 pages pour que le récit m'absorbe enfin, et ce en dépit de l'écriture travaillée et de la dimension documentaire du texte.

C'est, finalement, la dernière partie qui a achevé de me convaincre, celle relatée depuis le point de vue de Youki, qui est pleine d'émotion, sans pour autant verser dans le mélodramatique, et se décline avec beaucoup de dignité et de finesse.

 Légende d'un dormeur éveillé est donc un roman très riche, qui présente le mérite de mettre en lumière un grand poète, et démontre le talent d'un auteur (une autrice?) ambitieux-se.

Pour vous si...
  • Vous connaissez mal Desnos.
  • Vous vous demandez à quoi ressemblait l'ambiance des années 20/30 à Paris, en particulier dans le cercle surréaliste, qui a inventé tellement de jeux trop cools. 

Morceaux choisis

"Un peu plus tard, il s'arrête dans un taxiphone pour appeler Yvonne, et c'est en cherchant le numéro de l'hôtel Miramar qu'il réalise qu'il ne pourra plus jamais lui parler. Il chancelle et fait quelques pas sur le trottoir en direction de la Coupole, où Yvonne lui laissait des messages de sa graphie d'opiomane. Il entre et s'approche du bar, où Cocteau est seul au comptoir, avec sur le visage une ombre qui trahit qu'il sait.
_Et bien nous voilà orphelins, déclare Cocteau d'une voix brisée."

"Aragon a choisi le parti d'André Breton. [...] Entre autres insultes choisies il le traite de nullité, de cafouilleur lyrique, de matérialiste idéaliste. Comme ces mots blessent Robert, raillant cette voix intérieure qui est ce qu'il a de plus cher ! Il pense à ces traîtres à l'amitié, à ces faux frères qui s'arrogent le droit de décider qui est surréaliste et qui ne l'est pas, prétendent avoir inventé l'automatisme et la poudre, coulent dans le marbre ce qui doit s'envoler avec la poussière, danser dans la flamme."

"_Quels sauvages peuvent assassiner un poète ? interroge Robert.
_Ceux qui ont déclaré la guerre à l'intelligence et dont le cri de ralliement est "Viva la muerte", Robert."

Note finale
4/5
(très cool)

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