lundi 20 novembre 2017

Il n'y a pas Internet au paradis, Gaëlle Pingault

Le premier roman de Gaëlle Pingault porte un titre qui ne s'oublie pas, qui a le mérite de marquer les esprits. Breaking news : il se trouve que c'est également un très bon roman ! 


Libres pensées...

Lorsque Alex se suicide, Aliénor fait face à l'incompréhension et au vide laissé par sa soudaine absence. La trentaine, ils incarnaient un couple parfait de jeunes cadres parisiens dynamiques, lui informaticien, elle architecte. Aliénor savait qu'Alex souffrait de harcèlement moral au travail, mais n'en avait pas pris toute la mesure. Tâchant de comprendre son geste, elle revisite les derniers mois de leur vie commune, essaie d'interpréter le signes, de savoir ce qui a poussé cet homme dont elle était si proche à commettre un acte irréversible, d'une telle brutalité, sans qu'elle ne se doute de ce qui s'annonçait.

Il m'a fallu quelques jours pour appréhender mon opinion sur ce premier roman très intéressant. Tout d'abord, parce que, sous le charme de l'écriture teintée d'humour noir et d'une aisance stylistique indéniable, je peinais à être partiale sur les autres dimensions de l'oeuvre.

Ensuite, parce que certains points me titillaient, sans que je sache bien mettre le doigt dessus. Avec un peu de recul, j'ai pu voir un peu plus clair dans mon ressenti. Alors que le personnage d'Aliénor, qui est la narratrice, suscite, à mon sens, beaucoup d'empathie, le personnage d'Alex est plus difficile à cerner. D'une part, comme on s'attache à Aliénor, on voudrait partager la tendresse qu'elle ressent pour Alex même après sa mort, mais d'autre part, ce que l'on voit de lui n'est pas nécessairement propre à créer une proximité. Pour partie, on se place de son côté, dans la mesure où il a subi un harcèlement qui l'a poussé à l'irréparable, ce que l'on se représente et qui provoque la compassion. Cependant, à chaque fin de chapitre, un petit paragraphe met en scène Alex réagissant aux informations passant à la radio, et ces scènes donnent de lui l'image d'un homme aigri, prompt à juger et la critique acerbe, qui voit certes le monde comme il l'est (ses opinions sont généralement de nature à emporter l'assentiment, soulignant l'incohérence de notre société et son fonctionnement malade), mais ne se montre guère constructif, et ne s'engage pas pour améliorer les choses d'une manière ou d'une autre, y compris à une toute petite échelle.

Néanmoins, j'ai fini par établir que les sentiments de la narratrice à l'égard d'Alex étant ambigus - elle est aussi en colère qu'il se soit suicidé et la plonge dans un tel désarroi sans chercher à partager avec elle sa détresse -, on retrouve naturellement cette ambiguité dans le portrait qui est brossé de lui.

Quant à la dimension de harcèlement dont Alex est victime, elle me semble toucher du doigt une réalité effrayante et malheureusement répandue, mais ne fait que l'effleurer : la façon dont ce harcèlement se met en place, les visages qu'il prend, tout cela est finalement décrit de manière superficielle, à travers le visage démoniaque d'un manager, Boucher, et derrière lui, en pointillés, la direction qui ferme les yeux sur ses pratiques radicales, mais ce Boucher est en fin de compte très manichéen, ce qui le rend, de fait, moins crédible, moins réaliste que ce que l'on aurait pu espérer.

Ces éléments sont néanmoins des points qui, pour conclure, ne m'ont pas empêchée de beaucoup apprécier la lecture du roman, très vivant et sensible. A découvrir sans tarder !


Pour vous si...
  • Vous rêvez aussi d'un petit bout de paradis à l'abri du monde, et de la toile.

Morceaux choisis

"Depuis que tu es mort, je suis seule, et j'ai dû choisir seule ce qu'il adviendrait de ta carcasse. Heureusement, d'ailleurs, qu'il existe des lois pour obliger les gens à s'occuper de leurs défunts. J'aurais été capable de te laisser pourrir dans un coin. Tes os ne m'intéressaient que quand ils partageaient ma vie. Si ça me prend un jour, je chérirai nos souvenirs. Ta sépulture, certainement pas. Ne compte pas sur moi pour venir balayer les feuilles d'automne sur la pierre. Elles se ramasseront à la pelle sans moi."

"Je suis sûre que certains sont morts sans comprendre. Un cancer foudroyant, un infarctus, un accident de voiture. Juste quelques semaines, ou quelques mois après l'arrivée d'un nouveau chef, après la mise en place d'un nouveau management, après la réorganisation interne d'une entreprise, que sais-je des noms d'oiseaux derrière lesquels se cache la maltraitance professionnelle ? Fait-on toujours le lien ? Souhaitons-nous toujours le faire ? Avons-nous envie d'entendre cette fragilité fondamentale qui est la nôtre, dans une société qui ne valorise rien tant que d'être un battant et d'aller de l'avant, quoi qu'il arrive ?"

"Un jour, je ferai la liste de tout ce que je dois à la beauté de l'art. De toutes les fois où elle m'a sauvée du désespoir. Il se pourrait que la liste soit longue."


Note finale
4/5
(Très cool)

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