Je vous en parlais dans ce post : grâce au site lecteurs.com, je suis devenue le temps d'un été exploratrice de la rentrée littéraire 2015, en vertu de quoi j'ai reçu quatre livres à chroniquer.
Voici mon retour sur ces quatre livres.
- Otages intimes, de Jeanne Benameur
Otages intimes narre le
retour d'Etienne, photographe de guerre, en France, après avoir été
retenu en otage pendant plusieurs mois.
Le roman décrit sa lente
reconstruction après cette épreuve, ainsi que celle de ses proches,
profondément affectés par sa captivité et l'incertitude qui y
était associée.
Dès les premières pages,
le style nous happe, cette écriture hachée et précise qui
n'hésite pas à s'affranchir des règles de ponctuation pour mieux
restituer les émotions sur le vif. Le pendant réside dans le fait
que, par moment, on peut penser que l'auteur s'écoute écrire : un
sentiment de simulacre m'a traversée à la lecture de certains
passages.
L'auteur parvient par
ailleurs à créer une ambiance singulière : la détresse d'Etienne
et des siens est palpable, et le récit peut même en être
dérangeant.
Rapidement, on contourne
Etienne pour découvrir ses proches, ceux qui l'ont attendu : sa
mère, Irene, ses deux amis d'enfance, Enzo et Jofranka, et la femme
qui l'a autrefois quitté, Emma. A travers leurs voix, l'auteur nous
dit l'absence subie, l'impuissance de ceux qui restent et
l'irréversibilité de son impact sur leurs vies.
Ainsi, la part d'otage de
chacun est révélée, ainsi que la solitude qui les étreint tous
intimement.
Il est à déplorer que les
personnages sont principalement décrits par une vérité qui vient
servir cette thèse, et qui tend à les rendre parfois simplistes :
le personnage d'Enzo en serait presque inconsistant, par exemple.
Egalement, certains passages
nourrissent peu le roman à mon sens, et tendent au contraire à le
rendre inégal : le retour d'Etienne et ses ambivalences sont
empreints de finesse, le personnage d'Irene est poignant, en
revanche, il m'a semblé que le personnage d'Emma apporte peu à
l'intrigue, tandis que celui de Jofranka aurait peut-être mérité
davantage que ce qu'on lui accorde, tout comme celui d'Enzo.
En conclusion, ce roman
offre une interprétation intéressante de l'absence de l'être aimé
enlevé dans la violence, et de son difficile retour après
l'irréparable, et l'on y trouve des moments de grâce (notamment sur
la puissance de la musique, fil rouge déroulé en filigrane tout au
long de l'intrigue).
Cependant, c'est aussi un récit qui peut nous
laisser sur notre faim, et, à cet égard, qui ne s'acquitte qu'à
demi de l'ambition fixée.
- Animarex, de Jean-François Kervéan
Animarex raconte l'idylle
de jeunesse que Louis XIV a entretenue avec Marie Mancini, l'une des
nièces du cardinal Mazarin. Le récit s'articule en trois parties :
avant, avec, et sans Marie, et se détache des romans historiques
"classiques" : le style, foisonnant et humoristique, l'en
éloigne ostensiblement.
Ainsi, ce qui caractérise
d'abord Animarex, c'est cette verve, cette énergie débordante de
l'auteur qui ne se refuse rien : le lecteur est apostrophé,
l'identité du narrateur est tenue secrète jusqu'à la dernière
page, l'écrivain grimé en nègre est distingué du narrateur, et
n'est là que pour exécuter sa volonté, les références se
mélangent et se tissent à plusieurs siècles d'écart, la langue
est riche et parfois crue; en un mot, il dépoussière la cour de
Louis XIV et la déshabille de son austérité sans ambages.
Mais le récit dépasse
également la truculence du style : en se consacrant à une période
méconnue de la vie de Louis XIV, l'auteur nous donne à voir la
confrontation de l'homme et du roi, l'inéluctable victoire du rôle
sur les aspirations et les désirs de Louis. On se laisse prendre au
jeu de l'amour adolescent, et la fin, brutale bien qu'attendue, nous
rappelle à l'Histoire et à ce que l'âme du roi réclame
d'intransigeance et, d'une certaine façon, d'abnégation.
Enfin, la connivence
établie rapidement avec le lecteur rend le roman singulier :
l'auteur a recours au procédé de la mise en abym, le nègre
incarnant son propre rôle, et de la même manière que l'auteur est
un personnage à part entière, le lecteur en est un également,
auquel le narrateur n'hésite pas à s'adresser directement lorsqu'il
lui sied.
Pour la lectrice néophyte
que je suis en matière de romans historiques, ce roman m'a paru
receler d'une bonne dose d'exotisme de par son originalité dans la
combinaison d'un style très vivant et humoristique et d'un sujet
grave, que j'ai davantage l'habitude de voir traité avec solennité.
Ce qui en a fait, somme toute, une belle surprise! Avec le recul
cependant, il me semble qu'il me restera davantage en mémoire pour
son traitement atypique et son écriture que pour l'intrigue en
elle-même.
Ma note : 3/5 (cool)
Voir tous les avis pour Animarex sur le site lecteurs.com.
- Ressources inhumaines, de Frédéric Viguier
Ressources inhumaines
retrace le parcours d'une femme, depuis son entrée à 22 ans en tant
que stagiaire dans un hypermarché, jusqu'à la fin de sa vie
professionnelle dans le même établissement.
Le roman s'articule en
deux parties relatant chacune une phase de ce parcours : l'ascension,
suivie de la stagnation.
Dès l'incipit, la protagoniste nous est dépeinte sans complaisance : dans l'ensemble du roman, elle sera "elle", sans prénom pour l'identifier. Elle n'a ni passion ni ambition, aucune saillance qui la rendrait singulière ; elle est une jeune femme insignifiante, se décrivant elle-même comme une poche vide qu'il lui faut remplir.
Rapidement, on lui
découvre une facilité à mentir et manipuler pour parvenir à ses
fins, si bien que son personnage n'inspire aucune indulgence.
Cependant, les manigances qui la font accéder prématurément au
poste de chef de secteur ne s'avèrent pas suffisantes pour lui
permettre de poursuivre sa progression. Vingt ans après ses débuts,
elle assiste à l'arrivée d'un jeune homme différent, "lui",
qui va la mettre en danger.
La langue est ici un
véhicule qui, à l'image de l'univers exposé, vise à l'efficacité.
Elle ne diminue pourtant en rien l'impression laissée : le récit
est absorbant, et le style, simple et direct, ne dresse aucun frein à
la lecture.
Ressources inhumaines
pourrait se lire comme un fait divers ; à y regarder de plus près,
il a pourtant tout d'un roman tragique : enlisée dans la défiance
et la solitude, la protagoniste est condamnée, emprisonnée dans une
geôle édifiée par ses soins d'où elle ne voit autour que calcul
et malveillance, et dans son regard altéré, les meilleurs
sentiments sont perçus comme factices, fallacieux. J'aurais pu
ressentir pour elle une peine infinie, mais le roman s'attache à
nous démontrer que, si le monde dans lequel elle évolue est
pervers, elle s'est sciemment façonnée à son image.
L'auteur ne nous épargne
rien, de la destruction méticuleuse de tout espoir, à l'ironie
brûlante dans l'usage de la poche, dont l'emploi pour finir sera
élucidé.
Il s'est agi pour moi
d'un roman foudroyant et nocif.
Ma note : 4/5 (très bon)
Voir tous les avis pour Ressources inhumaines sur le site lecteurs.com.
Ma note : 4/5 (très bon)
Voir tous les avis pour Ressources inhumaines sur le site lecteurs.com.
- La dernière nuit du Raïs, Yasmina Khadra
La dernière nuit du Raïs
retrace les dernières heures de Mouammar Khadafi présentées depuis
ses propres yeux, puisqu'il incarne le narrateur, ce qui rend
d'emblée l'exercice complexe et l'expérience de lecture singulière
: peut-on éprouver la moindre proximité avec ce personnage? Peut-on
au moins comprendre les mécanismes de pensée qui sont les siens?
Dès les premières pages,
je me suis laissé aspirer par l'écriture toujours lumineuse de
l'auteur qui nous plonge dans les anecdotes, les souvenirs, les
réflexions et préoccupations du Raïs ainsi que ses relations avec
son entourage proche.
L'homme derrière le masque
du dictateur apparaît peu à peu : son portrait donne d'abord à
voir un caractère implacable, impitoyable, et à mesure que l'homme
est acculé, on ressent davantage la colère puis l'aigreur,
l'incompréhension face à ce qu'il estime être l'ingratitude du
peuple, car il ne se pose plus bientôt en bienfaiteur comme il le
faisait initialement : il devient le père du peuple, il devient
Dieu, et ce qu'il éprouve est avant tout une trahison, si bien qu'il
n'exprime pas de regret y compris lorsque les rebelles le mettent
face au mépris et à la haine qu'il leur inspire, si ce n'est de
n'avoir été plus sévère avec ce peuple qui s'est détourné de
lui. Confus, il l'est aussi bien sûr, obsédé par Van Gogh,
désireux de s'en remettre à la Voix qu'il l'entend et qui lui dicte
quoi faire.
A mesure que l'intrigue se
déroule, il obtient peu à peu un éclairage quant à ce qu'il a «
mal fait » : il réfute initialement avec hargne la vision
qu'il soutire de son ordonnance (à savoir, que le frère Guide n'a
rien fait de mal, et que le peuple cherche simplement à « tuer
le père » à travers lui) au point de se montrer envers lui
particulièrement cruel, mais tandis qu'il se retrouve acculé et
désespéré, il écoute l'un de ses colonels qui lui présente la
vision qu'il entérine : il a trop couvé le peuple et s'est
montré trop généreux et trop bon pour lui. Ainsi, ce n'est pas
simplement le peuple qui se soulève sans qu'il n'en soit en rien
responsable, c'est un peuple qu'il aurait lui-même rendu « paresseux
et malin » à force de penser pour lui, le conduisant à
l'ingratitude, et donc à sa propre chute.
Cette lecture est un voyage
étrange, troublant et crédible, ce qui lui confère toute sa force
: on est au pied du mur et l'on ne peut se contenter de déclarer que
le tyran n'est rien de plus qu'un fou, ses raisonnements, bien
qu'insidieux, sont solides (il réfute les noms dont on l'habille
sans hésiter et étaye son déni : il n'est, selon ses termes, ni
dictateur ni mégalomane) et regorgent de la colère que l'homme
nourrit et qui le tient debout.
C'est un roman qui ne laisse
assurément pas indifférent, et est à mon sens à l'image du reste
de l’œuvre magistrale et courageuse de Khadra.
Voir tous les avis pour La dernière nuit du Raïs sur lecteurs.com.
Et voilà pour l'aventure des Explo-lecteurs!
Si vous rencontrez sur votre route l'un de ces romans et que votre avis diverge, je serais ravie d'en débattre, aussi n'hésitez pas à m'en faire part.
Bonne journée à tous!
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