vendredi 28 août 2015

Exploratrice de la rentrée littéraire 2015 : mes chroniques

Je vous en parlais dans ce post : grâce au site lecteurs.com, je suis devenue le temps d'un été exploratrice de la rentrée littéraire 2015, en vertu de quoi j'ai reçu quatre livres à chroniquer.


Voici mon retour sur ces quatre livres.

  • Otages intimes, de Jeanne Benameur

Otages intimes narre le retour d'Etienne, photographe de guerre, en France, après avoir été retenu en otage pendant plusieurs mois.
Le roman décrit sa lente reconstruction après cette épreuve, ainsi que celle de ses proches, profondément affectés par sa captivité et l'incertitude qui y était associée.

Dès les premières pages, le style nous happe, cette écriture hachée et précise qui n'hésite pas à s'affranchir des règles de ponctuation pour mieux restituer les émotions sur le vif. Le pendant réside dans le fait que, par moment, on peut penser que l'auteur s'écoute écrire : un sentiment de simulacre m'a traversée à la lecture de certains passages.
L'auteur parvient par ailleurs à créer une ambiance singulière : la détresse d'Etienne et des siens est palpable, et le récit peut même en être dérangeant.

Rapidement, on contourne Etienne pour découvrir ses proches, ceux qui l'ont attendu : sa mère, Irene, ses deux amis d'enfance, Enzo et Jofranka, et la femme qui l'a autrefois quitté, Emma. A travers leurs voix, l'auteur nous dit l'absence subie, l'impuissance de ceux qui restent et l'irréversibilité de son impact sur leurs vies.

Ainsi, la part d'otage de chacun est révélée, ainsi que la solitude qui les étreint tous intimement.

Il est à déplorer que les personnages sont principalement décrits par une vérité qui vient servir cette thèse, et qui tend à les rendre parfois simplistes : le personnage d'Enzo en serait presque inconsistant, par exemple.
Egalement, certains passages nourrissent peu le roman à mon sens, et tendent au contraire à le rendre inégal : le retour d'Etienne et ses ambivalences sont empreints de finesse, le personnage d'Irene est poignant, en revanche, il m'a semblé que le personnage d'Emma apporte peu à l'intrigue, tandis que celui de Jofranka aurait peut-être mérité davantage que ce qu'on lui accorde, tout comme celui d'Enzo.

En conclusion, ce roman offre une interprétation intéressante de l'absence de l'être aimé enlevé dans la violence, et de son difficile retour après l'irréparable, et l'on y trouve des moments de grâce (notamment sur la puissance de la musique, fil rouge déroulé en filigrane tout au long de l'intrigue).

Cependant, c'est aussi un récit qui peut nous laisser sur notre faim, et, à cet égard, qui ne s'acquitte qu'à demi de l'ambition fixée.  


  • Animarex, de Jean-François Kervéan


Animarex raconte l'idylle de jeunesse que Louis XIV a entretenue avec Marie Mancini, l'une des nièces du cardinal Mazarin. Le récit s'articule en trois parties : avant, avec, et sans Marie, et se détache des romans historiques "classiques" : le style, foisonnant et humoristique, l'en éloigne ostensiblement.

Ainsi, ce qui caractérise d'abord Animarex, c'est cette verve, cette énergie débordante de l'auteur qui ne se refuse rien : le lecteur est apostrophé, l'identité du narrateur est tenue secrète jusqu'à la dernière page, l'écrivain grimé en nègre est distingué du narrateur, et n'est là que pour exécuter sa volonté, les références se mélangent et se tissent à plusieurs siècles d'écart, la langue est riche et parfois crue; en un mot, il dépoussière la cour de Louis XIV et la déshabille de son austérité sans ambages.

Mais le récit dépasse également la truculence du style : en se consacrant à une période méconnue de la vie de Louis XIV, l'auteur nous donne à voir la confrontation de l'homme et du roi, l'inéluctable victoire du rôle sur les aspirations et les désirs de Louis. On se laisse prendre au jeu de l'amour adolescent, et la fin, brutale bien qu'attendue, nous rappelle à l'Histoire et à ce que l'âme du roi réclame d'intransigeance et, d'une certaine façon, d'abnégation.

Enfin, la connivence établie rapidement avec le lecteur rend le roman singulier : l'auteur a recours au procédé de la mise en abym, le nègre incarnant son propre rôle, et de la même manière que l'auteur est un personnage à part entière, le lecteur en est un également, auquel le narrateur n'hésite pas à s'adresser directement lorsqu'il lui sied.

Pour la lectrice néophyte que je suis en matière de romans historiques, ce roman m'a paru receler d'une bonne dose d'exotisme de par son originalité dans la combinaison d'un style très vivant et humoristique et d'un sujet grave, que j'ai davantage l'habitude de voir traité avec solennité. Ce qui en a fait, somme toute, une belle surprise! Avec le recul cependant, il me semble qu'il me restera davantage en mémoire pour son traitement atypique et son écriture que pour l'intrigue en elle-même.

Ma note : 3/5 (cool)

Voir tous les avis pour Animarex sur le site lecteurs.com. 
  • Ressources inhumaines, de Frédéric Viguier


Ressources inhumaines retrace le parcours d'une femme, depuis son entrée à 22 ans en tant que stagiaire dans un hypermarché, jusqu'à la fin de sa vie professionnelle dans le même établissement.
Le roman s'articule en deux parties relatant chacune une phase de ce parcours : l'ascension, suivie de la stagnation.

Dès l'incipit, la protagoniste nous est dépeinte sans complaisance : dans l'ensemble du roman, elle sera "elle", sans prénom pour l'identifier. Elle n'a ni passion ni ambition, aucune saillance qui la rendrait singulière ; elle est une jeune femme insignifiante, se décrivant elle-même comme une poche vide qu'il lui faut remplir.
Rapidement, on lui découvre une facilité à mentir et manipuler pour parvenir à ses fins, si bien que son personnage n'inspire aucune indulgence. Cependant, les manigances qui la font accéder prématurément au poste de chef de secteur ne s'avèrent pas suffisantes pour lui permettre de poursuivre sa progression. Vingt ans après ses débuts, elle assiste à l'arrivée d'un jeune homme différent, "lui", qui va la mettre en danger.

La langue est ici un véhicule qui, à l'image de l'univers exposé, vise à l'efficacité. Elle ne diminue pourtant en rien l'impression laissée : le récit est absorbant, et le style, simple et direct, ne dresse aucun frein à la lecture.
Ressources inhumaines pourrait se lire comme un fait divers ; à y regarder de plus près, il a pourtant tout d'un roman tragique : enlisée dans la défiance et la solitude, la protagoniste est condamnée, emprisonnée dans une geôle édifiée par ses soins d'où elle ne voit autour que calcul et malveillance, et dans son regard altéré, les meilleurs sentiments sont perçus comme factices, fallacieux. J'aurais pu ressentir pour elle une peine infinie, mais le roman s'attache à nous démontrer que, si le monde dans lequel elle évolue est pervers, elle s'est sciemment façonnée à son image.
L'auteur ne nous épargne rien, de la destruction méticuleuse de tout espoir, à l'ironie brûlante dans l'usage de la poche, dont l'emploi pour finir sera élucidé.

Il s'est agi pour moi d'un roman foudroyant et nocif.

Ma note : 4/5 (très bon)

Voir tous les avis pour Ressources inhumaines sur le site lecteurs.com. 

  • La dernière nuit du Raïs, Yasmina Khadra


La dernière nuit du Raïs retrace les dernières heures de Mouammar Khadafi présentées depuis ses propres yeux, puisqu'il incarne le narrateur, ce qui rend d'emblée l'exercice complexe et l'expérience de lecture singulière : peut-on éprouver la moindre proximité avec ce personnage? Peut-on au moins comprendre les mécanismes de pensée qui sont les siens?

Dès les premières pages, je me suis laissé aspirer par l'écriture toujours lumineuse de l'auteur qui nous plonge dans les anecdotes, les souvenirs, les réflexions et préoccupations du Raïs ainsi que ses relations avec son entourage proche.

L'homme derrière le masque du dictateur apparaît peu à peu : son portrait donne d'abord à voir un caractère implacable, impitoyable, et à mesure que l'homme est acculé, on ressent davantage la colère puis l'aigreur, l'incompréhension face à ce qu'il estime être l'ingratitude du peuple, car il ne se pose plus bientôt en bienfaiteur comme il le faisait initialement : il devient le père du peuple, il devient Dieu, et ce qu'il éprouve est avant tout une trahison, si bien qu'il n'exprime pas de regret y compris lorsque les rebelles le mettent face au mépris et à la haine qu'il leur inspire, si ce n'est de n'avoir été plus sévère avec ce peuple qui s'est détourné de lui. Confus, il l'est aussi bien sûr, obsédé par Van Gogh, désireux de s'en remettre à la Voix qu'il l'entend et qui lui dicte quoi faire.

A mesure que l'intrigue se déroule, il obtient peu à peu un éclairage quant à ce qu'il a « mal fait » : il réfute initialement avec hargne la vision qu'il soutire de son ordonnance (à savoir, que le frère Guide n'a rien fait de mal, et que le peuple cherche simplement à « tuer le père » à travers lui) au point de se montrer envers lui particulièrement cruel, mais tandis qu'il se retrouve acculé et désespéré, il écoute l'un de ses colonels qui lui présente la vision qu'il entérine : il a trop couvé le peuple et s'est montré trop généreux et trop bon pour lui. Ainsi, ce n'est pas simplement le peuple qui se soulève sans qu'il n'en soit en rien responsable, c'est un peuple qu'il aurait lui-même rendu « paresseux et malin » à force de penser pour lui, le conduisant à l'ingratitude, et donc à sa propre chute.  

Cette lecture est un voyage étrange, troublant et crédible, ce qui lui confère toute sa force : on est au pied du mur et l'on ne peut se contenter de déclarer que le tyran n'est rien de plus qu'un fou, ses raisonnements, bien qu'insidieux, sont solides (il réfute les noms dont on l'habille sans hésiter et étaye son déni : il n'est, selon ses termes, ni dictateur ni mégalomane) et regorgent de la colère que l'homme nourrit et qui le tient debout.
C'est un roman qui ne laisse assurément pas indifférent, et est à mon sens à l'image du reste de l’œuvre magistrale et courageuse de Khadra.  

Ma note : 5/5 (coup de cœur)

Voir tous les avis pour La dernière nuit du Raïs sur lecteurs.com.


Et voilà pour l'aventure des Explo-lecteurs!
Si vous rencontrez sur votre route l'un de ces romans et que votre avis diverge, je serais ravie d'en débattre, aussi n'hésitez pas à m'en faire part.

Bonne journée à tous!

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