La petite chérie belge des Français
est de retour pour son rendez-vous annuel, et publie pour cette
rentrée littéraire le Crime du comte Neville, inspiré d'un récit d'Oscar Wilde, le Crime de Lord Arthur Savile.
Mais avant d'en arriver aux nouveautés,
j'ai décidé de faire un petit détour par les classiques. J'avais
lu plus jeune Le sabotage amoureux, mais ne l'ai réalisé que vers
la fin de ma lecture, quand est arrivée LA seule scène que j'avais
mémorisée (où la narratrice fait pipi debout. Ça ne m'étonne pas
de n'avoir retenu que ça, je me suis moi-même âprement exercée
petite pour ne pas souffrir des désagréments de la condition
féminine, car oui, faire pipi accroupie n'est pas une partie de
plaisir. Je ne vous raconterai pas comment s'y prennent certaines
personnes de ma connaissance, mais il y a indubitablement une
technique à développer, et devant ce type de défi, nous ne sommes
pas égales).
Alors, à quoi cela ressemblait-il, du
Nothomb, il y a 22 ans?
La narratrice, petite fille de 7 ans
qui quitte avec sa famille le Japon pour s'installer en Chine, nous
raconte son quotidien à travers ses yeux d'enfant fantasque, la
guerre très sérieuse menée entre les enfants du quartier où elle
vit, et son amour pour la cruelle Elena, qui ne lui accorde pas le
moindre regard.
Ce qu'il y a de bien avec Amélie
Nothomb, c'est que son style est reconnaissable entre tous. A peine
a-t-on lu quelques lignes que l'on sait chez qui l'on se trouve. Je
suis à chaque fois émerveillée par sa faculté de transposer le
réel, et de lui donner une allure soudain toute autre,
chevaleresque, épique par exemple, et c'est d'ailleurs le cas dans
Le sabotage amoureux. L'humour est vif et cinglant, on ne s'ennuie
pas une seconde, les mots sont toujours prétexte à s'interroger et
l'auteur nous sert des formules truculentes.
En général, je me refuse à relire
les livres qui m'ont plu de peur de ne plus leur trouver ce charme
particulier qui m'avait frappée et s'était instillé en moi.
Ici, aucune déception : une agréable
lecture, délassante et qui a le don de nous faire voir le monde à
travers un spectre singulier, le regard d'une enfant de 7 ans
spécifiquement douée d'imagination.
Bref, du Nothomb comme on l'aime.
- Vous êtes en faveur de la parité y compris dans les menus détails de la vie quotidienne
- Vous êtes persuadé que la troisième guerre mondiale s'est déjà jouée à l'insu de tous
- Vous vous délectez des supplices raffinés réservés aux prisonniers de guerre, tant d'imagination à l'oeuvre, vous n'êtes jamais déçu
"Au Japon, quand j'avais quatre
ans, j'avais une esclave à ma dévotion personnelle. Elle se
prosternait souvent à mes pieds. C'était bien."
"La guerre commença en 1972.
C'est cette année-là que j'ai compris une vérité immense : sur
terre, personne n'est indispensable, sauf l'ennemi."
"En un seul regard, on sentait
qu'aimer Elena serait à la souffrance ce que Grevisse est à la
grammaire française: un classique conspué et indispensable."
"Qu'une énorme part de jalousie
et de mauvaise foi se mêlât à mon indignation ne contredit pas le
fond de l'affaire : j'étais dégoûtée que l'on portât aux nues
une histoire où les bons sentiments tenaient lieu d'imagination.
De ce jour, je décrétai que la
littérature était un monde pourri."
"Qu'une chose aussi ravissante,
aussi feutrée, aussi douce, aussi tournoyante, aussi légère que la
neige puisse se transformer si vite en son contraire – un fatras
gris, collant, figé, pesant, rugueux – est une saloperie dont je
ne me remets pas."
4/5
(très bon)
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