mercredi 19 août 2015

Le Vieux Jardin, Hwang Sok-Yong

Après quelques lectures sans prétention, trêve de légèreté, j'ai passé quelque temps (au figuré) avec le coréen Hwang Sok-Yong et son copieux roman Le Vieux Jardin, et je n'ai qu'une chose à dire : la succession de mes lectures est scandaleuse. Parce qu'enchaîner un témoignage pareil après L'instant précis où les destins s'entremêlent, c'est presque irrespectueux pour Sok-Yong.


Enfin, vu ce qu'il a subi dans les geôles de sa chère nation, j'imagine qu'il s'en fout.


Un homme, O Hyônu, sort de prison après 18 ans d'incarcération, châtiment qu'il a enduré pour s'être opposé au régime en place. Ayant reçu peu de courrier durant sa détention, il apprend à sa sortie que la femme qu'il aimait est morte, et qu'il a une fille qu'il n'a jamais vue.
Le récit alterne la voix de O Hyônu qui retrace son parcours, les conditions de sa captivité et sa sortie de prison, et celle de la femme aimée, Han Yunhi, à travers son journal qu'il retrouve et les quelques lettres qu'elle lui a adressées de son vivant.

Le Vieux Jardin est l'une de ces œuvres qui marquent.
Le témoignage apporté sur le quotidien en prison, pour partie autobiographique, est poignant et instructif. L'auteur ne passe pas sous silence les humiliations, les occupations que trouvent les prisonniers (leur intérêt pour les quelques animaux qui se hasardent près de la prison et qu'ils prennent en affection), mais aussi plus largement, les conditions de la répression des opposants au régime, la façon dont ils sont traqués, les motifs et les idéaux qu'ils défendent, leurs désillusions, la manière dont ils évoluent lorsque passent vingt années, durant lesquelles ils ne pensent qu'à leur futur une fois libres s'ils le sont un jour dans le cas de Hyônu, ou durant lesquelles ils attendent, et voient leur vie avancer doucement dans le cas de Yunhi.
Les deux personnages sont extrêmement intéressants, au fil des pages l'on découvre leurs paradoxes, leurs accords et désaccords, leur singularité. Et l'on apprend, bien sûr, beaucoup aussi sur la Corée, et notamment sur la répression qui a entouré les événements de Kwangju dans les années 1980.
Attention toutefois, le récit tient plus parfois du témoignage que de la fiction, cela se sent aussi dans l'écriture.
De très beaux passages et réflexions sur l'opposition politique et la révolte de la jeunesse coréenne.
Un livre majeur.

J'ai eu, plus jeune, un prof de philo qui affirmait qu'il fallait pouvoir rire de tout.
Je me vois donc contrainte de ne pas vous épargner mes redoutables blagounettes y compris au sujet d'un livre aussi sérieux.
Ce pavé (564 pages écrites en assez petit) est donc pour vous si :
  • Vous vous intéressez aux spécialités culinaires locales, ça a l'air ragoûtant.
  • Vous avez des enfants pénibles et que vous manquez d'idées sur les moyens efficaces pour les rendre plus dociles
  • Vous êtes persuadé que L'instant précis où les destins s'entremêlent est un livre puissant.


"A force de vivre isolé dans une cellule, on finit par laisser les menus sentiments disparaître sous une épaisse couche d'insensibilité, parce que les entretenir n'aide pas à survivre. Au début, on oublie le langage. Même les mots les plus courants ne viennent plus à l'esprit. [...] On prend l'habitude de marmonner. On se parle à soi-même. [...]Une des caractéristiques d'un détenu à l'isolement depuis longtemps est qu'il n'est plus capable d'exprimer ses sentiments, parce qu'il ne peut pas les partager. En lui s'effacent l'usage de la parole, les sentiments, les souvenirs aussi."

"[...] Je voulais m'assurer une fois de plus du manque d'intérêt d'une vie qui nous parlait alors de rêves, d'ambition ou de succès."

"Il n'empêche que ces jeunes qui prennent des risques sont beaux, tu ne trouves pas?"

"La décadence des masses est sans doute un effet de la blessure que leur a infligée la domination violente qui leur a été imposée par le passé. Quand on a vécu trop longtemps dans une société où la liberté est bridée, on en arrive, paraît-il, à redouter toute force créatrice ou toute richesse spirituelle et à détester tout changement."

"Tu dois avoir un certain âge, toi aussi, à présent. Les valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus ont été atomisées, mais elles brillent encore parmi la poussière de ce bas monde. Tant que nous vivrons, nous devrons recommencer, encore et encore. Qu'as-tu trouvé dans cette obscurité et cette solitude encerclées de murs? N'as-tu pas aperçu par hasard, en te glissant entre deux rochers, un monde plein de fleurs aux multiples couleurs dans la splendeur du soleil? As-tu trouvé notre vieux jardin?"

4/5

(très bon)

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