Parmi ses publications des derniers mois, Stock a réservé une belle promotion au dernier roman d’Isabelle Autissier, Soudain, seuls, qui figure dans la première sélection du prix Goncourt 2015.
Il faut dire que le pitch est alléchant! Je n’étais pas familière avec dame Isabelle, visiblement aussi habile sur un voilier qu’un clavier sous les doigts ; une occasion en or de se plonger dans son univers.
Le synopsis
Louise et Ludovic, la trentaine, ont laissé derrière eux leur vie parisienne bien rangée pour un tour du monde en bateau.
Après l’Argentine, l’Afrique du Sud, mais avant cela, ils font un crochet par une île déserte à l’abord restreint, près de la Patagonie.
Les conditions météorologiques les forcent à passer la nuit sur place, dans une station abandonnée depuis les années 1950.
Au matin, leur bateau a disparu, probablement dans la houle qui a agité l’océan.
Commence alors une épreuve toute différente de celle qu’ils avaient imaginée, et au plus proche pourtant de leurs désir d’aventure : pour survivre, ils doivent trouver à manger, et ne leur reste qu’à attendre le passage miraculeux d’un bateau.
Et puis, dans ces circonstances, il leur faut composer avec cet autre qu’ils découvrent sous un nouveau jour, maîtriser leurs impulsions et la transformation qu’ils connaissent, réussir à se supporter.
Mon avis
J'ai refermé le livre hier, et depuis, il me trotte dans la tête.
Il a avant tout le grand intérêt de se concentrer sur un sujet qui me paraît particulièrement pertinent et actuel, à travers le fantasme du tour du monde et du retour à la nature, en opposition à la vie active et à l'environnement économique relativement morose que nous connaissons en France notamment qui pèsent sur le moral des trentenaires, contribuant à nourrir des envies d'ailleurs assez irrépressibles : qui n'a pas entendu parler d'un ami ou ami d'ami qui s'est embarqué, du jour au lendemain, dans une aventure peu ou proue comparable, avec le désir surtout de partir à la découverte de lui-même?
Mais le roman d'Isabelle Autissier ne se résume pas à son sujet.
L'intrigue démarre vite, et l'on se retrouve plongé dans cet univers qui, en d'autres circonstances, paraîtrait idyllique, et dévoile tout à coup les menaces qui lui sont inhérentes, ce qui se cache derrière la beauté des paysages naturels dignes de cartes postales.
On quitte ainsi le récit de voyage qui aurait pu être un peu léger, pour changer radicalement de point de vue, et se confronter aux impératifs de la survie, et de la coexistence dans ce nouveau contexte où ne s'appliquent plus les règles que l'on a toujours connues, ou l'autre peut être un allié comme un ennemi, un sauveur ou un poids mort. L'amour qui était évident dans la société et l'environnement de confort se retrouve ébranlé, face à quelque chose de plus viscéral, de plus inné, l'instinct, qui se révèle comme pour la première fois.
J'ai eu l'impression de retrouver cette animalité brute propre aux écrits de David Vann, maître dans le domaine du nature writing, et qui a beaucoup travaillé sur la confrontation entre l'homme et la nature. Difficile également de ne pas penser à Krakauer, avec ses romans Tragédie à l'Everest et Voyage au bout de la solitude (mieux connu sous le nom de son adaptation cinématographique, Into the Wild), avec cette dimension supplémentaire, celle du couple, qui apporte une complexité singulière.
Bref, Isabelle Autissier s'inscrit dans la veine des plus grands auteurs du genre, avec en plus une écriture limpide, lumineuse, qui m'a par moment émerveillée.
A voir donc si elle parvient à tirer son épingle du jeu parmi la sélection Goncourt de cette année, en tout cas, son roman est une sacrée claque!
Pour vous si...
- Vous avez vous aussi assisté à cette vague de départs de gens de bonne famille qui ”se cherchaient” et qui voulaient ”se découvrir” en lâchant tout pour un tour du monde afin d’aller ”à la rencontre d’eux-mêmes” (comme si personne ne pouvait se découvrir dans le Starbucks de la Défense), et que vous avez tiré un malin plaisir à les imaginer galérer (et même peut-être pleurnicher) parce qu’en bons parisiens, en effet, ils ne savaient certainement pas faire du feu sans briquet et que dormir par terre leur causait un insoutenable mal de dos. Bien fait.
- Vous cherchez une lecture à conseiller à Michel, pour lui montrer que sa grille de lecture en matière de genre est un peu faussée, et qu'en situation de survie, les femmes, ces êtres faibles et tristement sexués, peuvent révéler des instincts étonnants.
- Votre cher et tendre ne vous écoute jamais, et vous aimeriez lui faire comprendre que s'il continue, il se pourrait qu'il le regrette.
Morceaux choisis
"Oui, le ciel est en train de s'assombrir au loin, mais au pire ils seront mouillés. L'aventure est à ce prix, c'est même leur but, se sortir de la torpeur de bureaux parisiens qui risquaient de les engloutir dans une confortable mollesse et les laisser sur le bord de leur vie."
"Rebondir! L'un des maîtres mots de notre époque déboussolée. Rebondir après un divorce, malgré le chômage, la maladie."
"La peur a détruit ce qu'elle a de plus essentiel : ses sentiments, son humanité. La voila nue, avec pour unique obsession sa survie, comme n'importe lequel de ces animaux qu'elle croise quotidiennement."
"L'altruisme vaut pour les sociétés nanties."
"Le thé refroidit et la tasse se couvre d'une fine pellicule aux reflets argentés."
"Au fond, ce qui fascine Pierre-Yves, c'est que le rêve de Louise et Ludovic, ils sont nombreux à le partager : s'échapper de cette société pesante et pressée, des pollutions des grandes villes, prendre le large et la liberté, retrouver la nature et de vrais rapports humains. Or là, sous ses yeux, cette utopie s'est transformée en cauchemar."
Note finale
5/5
(coup de coeur)
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