mercredi 2 septembre 2015

Soumission, Michel Houellebecq

Pour finir sans beauté ce doux mois d'août, j'ai fait un choix courageux : le très controversé Soumission, de mon bon ami Houellebecq.

(Je vous présente la secret ball, le meilleur cadeau d'anniversaire que j'ai reçu de toute mon adolescence. Qui n'a eu de cesse de se contredire chaque fois que je lui posais deux fois la même question. Moyennement fiable, mais un objet de déco inégalé. D'ailleurs, quand on lit Houellebecq, on se demande s'il ne s'en n'est pas remis à l'une de ces petites choses pour esquisser le futur de la France).

Je n'y suis pas allée de bon cœur, croyez-moi. 
D'abord, parce que j'ai des a priori très virulents à l'encontre de cet auteur qui ne m'inspire rien qui vaille, ensuite, parce que ma seule incursion houellebecquienne s'est révélée un désastre (j'en parle ici), et pour finir, mon éclaireur Nombre Premier, plus téméraire encore que ma personne, avait fait les frais de l'engouement médiatique autour du-dit bouquin, et s'y était attelé au moment de sa sortie – son opinion était, comme je m'en souviens, tout sauf mitigée : "c'est de la merde" (devant les prises de position alambiquées des uns et des autres et le manque d'honnêteté intellectuelle de nombre de lecteurs qui n'osent avouer ce qu'ils ont vraiment pensé d'un livre, tant de franchise m'avait fait monter les larmes aux yeux de gratitude et d'émotion).

Bref, vous l'avez compris : je l'ai fait pour vous.


Le synopsis

En 2022, le deuxième tour des élections présidentielles voit s'affronter Marine Le Pen, qui représente le Front National, et Mohammed Ben Abbes, qui représente la Fraternité musulmane. Alors que les autres partis envisagent des alliances avec l'un ou l'autre des candidats et négocient les conditions de leur intégration au prochain gouvernement, nous suivons François, le narrateur, un professeur d'université spécialiste de Huysmans (je dois dire qu'avoir lu Huysmans apporte quand même un cachet au récit, je ne regrette pas mes errances lycéennes qui m'ont conduite à m'intéresser de mon propre chef à ce malheureux oublié des programmes de littérature). Il voit se profiler un nouveau régime tandis que ses occupations quotidiennes l'accaparent (principalement, couper court à la solitude qui l'accable – malheureusement son comportement avec les femmes ne doit pas beaucoup l'aider, étant donné qu'il est quand même sacrément misogyne), et qui réfléchit aux répercussions de l'arrivée potentielle de Ben Abbes au pouvoir, et de ce que cela signifierait pour lui (pour la France aussi, mais dans une moindre mesure, soyons honnêtes).

Mon avis

Vous n'allez pas me croire.
Et pourtant.
Michel est remonté (un peu) dans mon estime. Je sais, les voies du seigneur sont impénétrables.
Soumission nous oblige à réfléchir à certaines éventualités, et ne nous donne pas de clefs de lecture, ce qui est à la fois dérangeant et capital.
Comme Michel l'a dit dans les quelques interviews qu'il a données, les personnages ont la parole à tour de rôle, et chacun explique son point de vue, sans qu'aucun jugement de valeur ne vienne véritablement entraver leur plaidoyer. De fait, cela permet d'écouter ce qu'ils ont à dire et d'essayer de les comprendre. Pour autant, personnellement, cela m'agace au bout d'un moment, un auteur qui ne laisse à aucun moment sous-entendre son propre point de vue, et qui, en vertu du relativisme (que j'exècre), se refuse systématiquement à prendre parti. Bien sûr, le rôle de l'écrivain n'est pas de verser dans la propagande, mais sur des sujets aussi importants, il est étonnant de se retrouver face à quelqu'un qui n'a aucun avis, qui est tolérant et adaptable au point de pouvoir potentiellement tout accepter.
Toutefois, les questions qu'il pose ont le mérite d'être terriblement actuelles : sur quoi peut-on faire des compromis et négocier? Convenir du retrait des femmes du marché du travail en contrepartie de la hausse des allocations familiales et de la chute sans précédent de la courbe du chômage, est-ce acceptable? Quid de la généralisation de l'enseignement musulman, des femmes voilées, de la polygamie, ou encore des mariages arrangés avec des mineures? (dont Michel souligne avec élégance qu'il y a bien pire, dans une interview donnée à FranceInter). A de nombreux égards, l'islam décrit dans Soumission n'est en effet pas radical, il est même "modéré", comme il le qualifie. Pourtant, de nombreux points associés par Houellebecq à ce type d'islam modéré vont directement à l'encontre de la laïcité qui est au fondement de la république.
Des réflexions intéressantes, donc, sur lesquelles l'auteur nous laisse libres de faire nos interprétations et de forger notre opinion.

Pour finir, comme souvent j'ai l'impression, c'est un livre qui manque cruellement d'une belle touche de féminin. Les caractères qui représentent cette gente avec laquelle Michel semble avoir quelques démêlés versent toujours affreusement dans des catégories caricaturales, et cela fatigue : soit on a affaire à une femme qui est avant tout qualifiée par ses attributs mammaires ou fessiers (Myriam, les escorts, c'est à cela qu'elles se résument, et pourtant l'auteur va jusqu'à dire que le personnage de Myriam est important...), soit on a affaire à une femme qui a quelques opinions (Marie-Françoise), mais dans ce cas-là, il s'agit invariablement d'un gros tonneau, ce dont on pourrait se foutre éperdument, mais l'auteur n'a de cesse de le mentionner, comme si les idées de la dame en question étaient automatiquement dévalorisées et amoindries de ce simple fait. Comme si, nous, on accordait moins de crédit à ses idées à lui, sous prétexte qu'il est moche et osseux.
Bref, je doute qu'il s'améliore un jour sur ce sujet, mais à lire, c'est lassant.

Mon ressenti global est donc loin d'être aussi noir que ce que je supputais avant de commencer ma lecture; je dirais même qu'il est intéressant de lire Soumission, ne serait-ce que pour s'en faire un avis, et parce que ce n'est pas, finalement, la daube inacceptable que cela aurait pu être.

Pour vous si...
  • Comme moi, vous pourrissez sans savoir. C'est mal, vous le savez pertinemment. Il est temps de pourrir en sachant, faites-en votre devise.
  • Vous êtes intimement convaincu que les femmes n'ont pas vocation à occuper une place importante dans la littérature. C'est vrai, quoi : ça reste avant tout l'objet du désir des hommes, dans le meilleur des cas elles ont un joli cul et de beaux seins, mais il faut pas déconner non plus, ces livres qui leur font la part belle, c'est du n'importe quoi. Il n'y a que Houellebecq qui soit clairvoyant sur le sujet et leur restitue la place qu'elles méritent.
  • Vous aimez le Lot. J'ai été sur le cul de voir 100 pages dédiées à Martel, Souillac, Rocamadour. Ça m'a à la fois revigorée de retrouver toute cette boustifaille familière, et outrée, l'idée que Michel ait pu mettre un pied chez moi, sur MA terre. Et puis parler de Rocamadour sans parler des marches, c'est comme parler des Gardiens de la Galaxie sans parler des abdos de Chris Pratt (ou mieux, du mirifique "I'm Groot"). C'est à se demander s'il y est vraiment allé.


Morceaux choisis

"De même qu'A rebours était le sommet de la vie littéraire de Huysmans, Myriam était sans doute le sommet de ma vie amoureuse" (une pensée pour ce pauvre Joris-Karl...)

"Alice posait sur nous ce regard à la fois affectueux et légèrement moqueur des femmes qui suivent une conversation entre hommes, cette chose curieuse qui semble toujours hésiter entre la pédérastie et le duel". (je l'avoue, j'ai ri. Bien senti, pour une fois).

"J'aimais depuis toujours les soirées d'élection présidentielle ; je crois même qu'à l'exception des finales de coupe du monde de football, c'était mon programme télévisé favori."

"Ces deux escorts étaient bien. Pas suffisamment quand même pour me donner envie de les revoir, ni d'engager avec elles des relations suivies; ni pour me donner envie de vivre" (:D)

"Nietzsche avait vu juste, avec son flair de vieille pétasse, le christianisme était au fond une religion féminine."

Note finale
3/5

(cool / surprenant)

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