Le dernier roman de Léonora Miano a fait parler de lui dans la presse à l'occasion de cette rentrée littéraire.
Auteur de L'intérieur de la nuit, du Blues pour Elise ou encore de La Saison de l'ombre, Léonora fait figure d'incontournable dans la littérature francophone, et a même la particularité d'être à l'origine du mouvement "afropéen", dans la mesure où ses romans évoquent souvent ses racines africaines, et son identité double, à la fois africaine et européenne.
Le synopsis
Quatre femmes s'adressent à un même homme : sa mère, la femme qu'il a aimée et délaissée, la femme par laquelle il l'a remplacée, et sa sœur.
Tour à tour, tandis que se dévoile la relation qui les lie à lui, elles lui disent leurs secrets les plus intimes, et l'on devine bientôt des similitudes troublantes.
Mon avis
Dans sa structure, Crépuscule du tourment m'a étonnamment fait penser à des romans japonais : Le fusil de chasse, mais aussi Les 10 amours de Nishino de Kawakami, ma grande chouchoute au pays du soleil levant.
Cependant, si l'idée de départ peut paraître similaire, très rapidement, le roman de Léonora Miano se distingue, et se singularise.
Les voix des femmes sont de celles qui touchent, car elles se livrent sans prudence et sans retenue, mettant les mots sur ce qu'elles ont tu toute leur vie, et le doigt sur ce qu'il y a d'essentiel et de fondateur dans ces non-dits.
On explore avec elles la question du rapport des femmes à leur corps, à leur féminité, mais aussi celle de l'attirance et de l'amour entre femmes dans une société où la virilité est omnipotente et a seule une valeur intrinsèque. La façon dont ce sujet est abordé depuis les points de vue très distincts des protagonistes nous porte à nous interroger nous-mêmes, à ressentir de l'empathie à leur endroit, et à prendre la mesure du silence qui l'entoure.
Comme dans ses précédents romans, Leonora Miano examine également des thèmes propres à l'histoire de l'Afrique, en particulier le colonialisme, et ses répercussions dans des trajectoires individuelles, parfois à plusieurs siècles d'intervalle : à cet égard, le passage dédié à l'impact du sort de ses ancêtres sur la vie et la psychologie de l'une des femmes, est d'une force incroyable.
Le récit est porté par une écriture impeccable, incarnée, faite de phrases souvent courtes et directes, dont se dégage un sentiment de maîtrise et une esthétique indéniable.
Crépuscule du tourment figure, à mon sens, parmi les romans les plus réussis de Léonora Miano, et mérite l'intérêt qui lui est porté par la critique.
Pour vous si...
- Vous êtes sensible au style Miano
- Vous aimez les proses acérées, qui peuvent traiter l'intime comme le politique avec la même virtuosité
Morceaux choisis
"Ce qui se passe entre deux personnes qui s'abandonnent totalement l'une à l'autre est au-delà de la chair. C'est un acte spirituel. On ne s'accorde pas si bien par hasard. Telle est ma conviction. Nous ne sommes pas sur terre pour mépriser notre propre incarnation. Nous devons vivre dans toutes nos dimensions. Je reçois de lui ce que j'attends de l'homme qui partage mon intimité. C'est un être généreux. Il m'a fallu le rencontrer pour savoir que les conversations intellectuelles n'étaient pas l'essentiel. Pour découvrir aussi que le désir est plus qu'un appétit. C'est un sentiment."
"Je la revois, le jour du mois où elle m'envoyait chercher l'enveloppe, le nécessaire dont, j'en suis persuadée, nous nous serions fort bien passées mais voilà, c'était devenu le lien nous unissant à lui, elle qui aurait dû l'oublier, moi qui aurais pu protester, dire Non maman c'est votre histoire pas la mienne vas-y toi-même si tu y tiens tant quant à moi je ne veux rien avoir à faire avec un homme venu tromper son épouse dans ton lit comme si tu ne méritais pas mieux que d'être l'autre femme peu importe qu'il aime ou non sa légitime c'est elle qui lui est indispensable c'est ce qu'il a créé avec elle qui sous-tend son existence sans ça il l'aurait quittée mille fois tant il a été voir ailleurs et que fais-tu des autres mamans celles qui ont pris ta place en attendant d'être engrossées puis jetées parce qu'il ferait le nécessaire non maman je n'irai pas je n'ai pas le désir de connaître un tel homme, j'aurais pu dire cela ou quelque chose d'approchant, je ne l'ai jamais fait."
"Sais-tu encore que Masasi, dans une légende du Continent, est le nom de la première femme, elle plaisante - à moitié - en disant Je suis ta première c'est pour cela que tu parles d'amour pour la vie, je lui prouverai l'inverse, mes yeux ne voient qu'elle, ma pensée ne nous enferme dans aucune catégorie, nous n'avons pas à lever le poing, nous n'avons à nous expliquer de rien, c'est notre vie et notre affaire, pas une performance."
"S'il n'y avait eu que la brutalité, la domination se serait exercée sans pour autant que la soumission fût obtenue. Soumettre son semblable, c'est lui faire reconnaître votre grandeur, ce qui impose de recourir à des méthodes plus fines que l'envoi de tartes dans la figure. Il faut séduire, éblouir si on a de quoi. Et il faut rassurer."
Note finale
4/5
(très bon)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire