Voilà voilà.
Non parce que bon, c'est bien gentil, la liberté dans l'histoire et les bateaux de toutes sortes, mais à un moment donné, il faut quand même s'intéresser à des choses de la vie de tous les jours.
Je m'attendais donc à des anecdotes croustillantes que je pourrais ressortir en soirée. Et bien, j'en ai eu pour mon compte, pas du tout dans le registre que j'imaginais, mais fort instructif néanmoins.
Intervenait dans le cadre de cette séance Paul-André Rosenthal, professeur à Sciences Po, qui a publié il y a peu Destin de l'eugénisme.
Un titre tout à fait prometteur!
Paul-André s'est en effet plongé dans les archives de l'INED (Institut National d'Etudes Démographiques), où il est chercheur.
Il est parti des mutations observées dans la manière de penser la population, opérées dans les années 1990, période à laquelle les historiens ont commencé à réfléchir aux politiques de population en lien avec le totalitarisme, ou encore le nationalisme, ou encore l'eugénisme.
L'eugénisme se base sur l'idée de réformer la société par la biologie, Paul-André le souligne dans la mesure où le mot peut paraître aujourd'hui galvaudé, et inclure beaucoup de significations en réalité éloignées de son acception d'origine.
L'INED s'est positionné, de son côté, comme conseiller sur les meilleures politiques de population, à la manière d'un think tank.
Il est intéressant de noter que, dans les années 1960, il allait de soi d'évoquer les allocations familiales comme un "investissement" réalisé par la France, avec cette idée que l'on peut agir sur la population dans l'intérêt général par ce biais notamment. Cette approche a bien entendu été remise en cause dans les années 1980/1990, et l'INED a constitué un bon point d'observation de ces évolutions.
Si l'on repart plus loin encore, on constate que c'est au XIXe siècle que les ménages (les plus bourgeois, s'entend) ont eu un contrôle suffisant de leur fécondité pour avoir, in fine, un impact général, c'est donc un mouvement qui est initié par "le bas", et qui n'est pas cascadé depuis les hautes sphères.
Le discours politique est alors celui du constat de l'impuissance des élites : dans ce domaine fondamental, elles ne gouvernent pas les comportements de la population. Et oui : il existe une marge de manœuvre individuelle (surprise!).
Paul-André évoque la scolarisation obligatoire, qui a eu des conséquences majeures pour les ménages, dans la mesure où l'enfant, de ressource, est alors devenu un coût, d'où une forte résistance à l'époque, et la nécessité d'établir des compromis (surtout en période de vendanges).
Avec du recul, on constate que les dispositifs mis en place par le pouvoir, à l'instar des allocations familiales, ont été les mêmes quel que soit le régime en place.
La question que pose Paul-André Rosenthal est donc la suivante : en quoi des outils similaires prennent un contenu différent en fonction du contexte politique et social?
Et là, nous arrivons au clou du spectacle, à l'exemple qui va cristalliser l'attention de la "foule" : les jardins d'Ungemach, à Strasbourg, qui ont été des lieux d'expérimentation sociale sur la démographie, et ont reçu un soutien des gouvernements successifs.
Le but de cette "invention sociale" était d'accélérer le progrès de l'humanité (tout à fait, rien de moins).
On part de l'observation de la chute de la fécondité en France, qui vient d'une tendance croissante de la bourgeoisie à réduire le nombre de ses enfants pour pouvoir les emmener le plus loin possible, en termes d'études, etc.
Une petite parenthèse, sur l'eugénisme anglais, qui consistait à vouloir contrôler qui a accès à la fécondité, et faire que les couples de la petite bourgeoisie, considérés comme "sains", produisent plus d'enfants que les couples "dysgéniques" (sympa pour ceux qui se font taxer de "dysgéniques", le sens est pas très clair, mais on comprend vaguement que c'est pas hyper cool). Le rêve des eugénistes étant d'aller jusqu'à délivrer des certificats de mariage pour maîtriser le mariage et donc la reproduction (vous comprendrez que ça n'a donc plus beaucoup de sens en ces termes actuellement. Déjà qu'à l'époque...).
Les jardins d'Ungemach, donc : des couples pouvaient accéder à des maisons à prix réduit (-25% par rapport aux prix du marché) en signant un contrat de procréation.
Vous avez bien lu.
Le contrat stipulait par exemple le nombre d'enfants à "produire", sous quel délai, quelles caractéristiques les enfants devaient présenter (santé, hygiène), et si ces conditions n'étaient pas respectées, l'expulsion était prévue.
A ce stade, imaginez bien que la salle de conférences est un peu sous le choc.
Mais Paul-André ménage son suspense : le plus fou, dans tout cela, c'est que ce dispositif a perduré...jusqu'au milieu des années 1980!!!
Et le contrôle était le plus souvent réalisé par les résidents eux-mêmes...
Il faut aussi savoir que le contrat des jardins était administré par la mairie de Strasbourg... Absolument fascinant!
Mais remettons-nous dans le contexte : dans les années 1960, selon Paul-André, le dispositif était en phase avec la politique française en termes de démographie, car alors, les "souches saines et fécondes" constituait une priorité politique (oui, je sais, je ne me sens pas très bien non plus en écrivant ça).
Contrairement aux idées reçues, l'eugénisme n'a pas du tout été démantelé en 1945 avec la découverte de l'approche nazie de la question : on considère alors qu'il y a un bon, et un mauvais eugénisme.
La salle commence à poser des questions, notamment sur le rôle des femmes dans ce "projet", et Paul-André explique qu'il reposait sur une répartition genrée très claire, puisqu'il s'agissait de fournir à l'homme les meilleures conditions possibles pour surmonter le stress au travail (thème toujours hautement actuel). L'épouse n'avait pas le droit de travailler : c'était un critère de sélection des couples accédant aux maisons. L'espace dans les résidences était d'ailleurs optimisé pour permettre à la femme de gérer au mieux toutes les tâches domestiques qu'elle devait assumer.
Bien, je suis sûre que vous partagez mon assourdissement. Je vais vous laisser méditer sur les Jardins d'Ungemach, je ne vois pas d'autre chose à faire. Bisous.
Sinon, Blois, c'est mignon.
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