J'ai entendu Raphaël Liogier comme beaucoup lors des interviews qu'il a données au cours des derniers mois, notamment suite à la parution de son dernier livre, Le complexe de Suez : le vrai déclin français. Lors de ces interventions, mon attention a été captée par ses théories sur le mythe de l'islamisation, qu'il a décrites dans son essai de ce nom publié en 2012.
Quoi de plus divertissant que la lecture d'un essai, de temps à autre?
Pour les tristes quidams qui l'ignorent, Higuma est le meilleur coin à gyozas de Paris - un endroit béni, et qui n'a rien à voir avec ce post
Le synopsis
A partir d'idées reçues largement véhiculées sur les réseaux sociaux, et de chiffres catapultées dans les interviews des uns et des autres, Raphaël Liogier confronte les croyances répandues au sujet de l'islam et des musulmans, à l'épreuve des faits et des statistiques sérieuses, pour tâcher d'identifier la part du vrai et du faux dans ce qu'il nomme une obsession collective, et faire progresser le débat.
Mon avis
En guise d'avis, je m'en vais vous exposer plus en détails les thèses démontées et celles soutenues par Raphaël (comme dans une fiche de lecture de prépa - certaines habitudes sont comme demain, elles ne meurent jamais, ou alors, un autre jour).
Tout d'abord, il s'attache à mettre en mots les différentes idées reçues qui circulent au sujet de l'islam et de l'islamisation supposée de la France.
Cette islamisation passerait par une submersion démographique, comprendre, l'accroissement significatif du nombre de musulmans en France. Ici, l'auteur n'a qu'à démontrer combien les chiffres sont erratiques voire contradictoires pour affaiblir cette théorie. Il met ainsi à l'épreuve l'idée qu'il y aurait plus de mosquées que d'églises dans le sud de la France, ou qu'un tiers des jeunes de moins de 20 ans seraient musulmans, ou encore que la France prendrait la forme d'une république islamique dans le futur, avec une projection estimant un Français sur 5 musulman en 2027; l'idée qu'en 30 ans, les musulmans se seraient multipliés par 30, il fait état du soupçon de conspiration voulant que les musulmans soient forcément tous communautaristes et refusent de s'intégrer.
Une fois passé en revue l'ensemble de ces préjugés, l'auteur en vient aux faits avérés et entreprend de les expliquer avec un éclairage sociologique.
Ainsi évoque-t-il :
- L'intensification du sentiment religieux chez certains musulmans, notamment jeunes, se traduisant par une plus grande fréquentation des lieux de culte. Il précise au passage qu'il existe en métropole 90 mosquées et 1962 salles de prière (pour comparaison, on dénombre 3000 lieux de culte protestants pour 1.1 million de protestants alors qu'il y aurait au moins 2.1 millions de musulmans pratiquants).
- La concentration des populations musulmanes européennes dans les grands centres urbains : "On dira que les musulmans se sont emparés de quartiers entiers alors qu'ils y ont été regroupés".
- L'existence d'une forte délinquance, trafic de drogue, réseaux criminels et violence ordinaire marquée dans les quartiers périphériques pauvres des grands centres urbains européens (là où beaucoup de musulmans sont concentrés). A noter, les études montrent que l'islamité n'est pas une variable déterminante de la délinquance, mais qu'au contraire, une certaine ferveur religieuse soutenue et continue chez les adolescents musulmans serait un facteur de réussite scolaire.
- Les quartiers sensibles sont des bouillons d'inculture où peuvent croître de jeunes islamistes radicaux et des terroristes potentiels.
Pour finir, l'auteur établit que ce sentiment de conspiration viendrait de ce que le monde n'est plus centré sur l'Europe, d'où les suspicions dans le regard porté vers l'Orient, et vers les musulmans (cf extrait ci-dessous, très intéressant).
L'essai de Raphaël Liogier a le mérite de débarrasser le débat de nombre de présomptions qui n'ont pour effet que de le polluer en nourrissant un sentiment de peur et de défiance.
Pour ce simple motif, sa lecture est saine et constructive.
La théorie finale mettant en exergue l'évolution de la place de l'Europe dans le monde et sa réaction face à son déclin donne matière à réflexion, et m'a semblé audacieuse (et pertinente).
Dans les temps sombres, il est toujours bon de remettre les choses en perspective.
Pour vous si...
- Vous êtes médusé par les réactions anti-islam observées dernièrement
- ...et, en bon curieux, vous vous interrogez sur ce qu'il y a de vrai et de faux dans les allégations qui foisonnent de part et d'autre sur le sujet
Morceaux choisis
"Les idéologues du mythe de l'islamisation rendent la réalité mystérieuse, échafaudent des systèmes, à partir desquels ils prophétisent, anticipent, interprètent l'histoire, les processus à l'oeuvre depuis longtemps."
"La résurgence de la ferveur musulmane dans les quartiers populaires n'est pas le symptôme d'un malaise, mais plutôt une stratégie spirituelle pour trouver de nouvelles régulations, de nouvelles normes, une éthique, bref, pour sortir de l'anomie, de l'absence de but."
"Remarquons que le motif permettant de déchoir quelqu'un de sa nationalité en l'état actuel du droit est le complot avéré contre la nation. [...] Puisque chacun sait que le musulman complote, il ne saurait être punissable de la même manière que les autres. Il faut donc prévoir à son encontre des mesures d'exception."
"Depuis le milieu du XXe siècle, le continent européen est hanté par la mort. Il est destitué par son propre universalisme, et destitué par conséquent purement et simplement de son universalisme, voué à redevenir une partie du Globe comme les autres et peut-être moins importante que certaines autres comme la Chine ou l'Inde, une simple partie de ce monde qui fut sien, qu'il s'appropria matériellement et culturellement, condamné à redevenir une simple fraction de cette humanité qui fut son projet."
Note finale
3/5
(instructif)
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